Ouest France, 19 novembre 2007

LE SOURIRE RETROUVE DES RESCAPES DU RWANDA

Malgré les traumatismes, les rescapés du Rwanda peuvent maintenant étudier et se résinsérer. Psychothérapeute à Ancenis (Loire Atlantique), Amélie  Schafer a créé, sur les terres de sa famille, une association pour recréer des liens de solidarité entre rescapés du génocide de 1994.

 

RWAMAGANA (de notre envoyée spéciale). - Jour de rentrée au centre de formation Subiriseke. Les bâtiments de briques claires chauffent déjà au soleil de ce début de matinée. Sous les toits de tôle, on reprend doucement le rythme des formations. Dans l'atelier, les copeaux de bois blancs commencent à s'accumuler dans la pénombre. Sept jeunes, âgés de 15 à 20 ans, manient scie et rabot avec attention. Amélie Schafer s'amuse : « Tout le monde n'est pas là, parce qu'ici, les jours de reprise, c'est grand ménage... Certains préfèrent éviter ça. » Elle continue la visite. « De l'autre côté de la cour, c'est la classe de couture avec 23 élèves. C'est moins que les années passées : les frais de fonctionnement sont trop difficiles à assumer. »

Amélie Schafer,  est psychothérapeute à Ancenis (Loire-Atlantique) depuis bientôt sept ans. Mais c'est sur les collines de Rwamagana - une petite ville à l'est de Kigali - qu'elle est née et a grandi. « La maison, juste là, c'est celle de ma famille. » Au pied de la bâtisse, quelques tombes cernées de fleurs. L'association Subiriseke a été fondée en 1995. Au lendemain du génocide. Absente du Rwanda à cette époque, elle y est revenue pour aider les siens. « Le but était surtout d'offrir un soutien moral en permettant aux veuves et aux orphelins de sortir de la solitude et de se retrouver pour des activités communes. »

Redevenir des êtres humains 

Une vieille femme au visage creusé de rides vient saluer la fille du pays. Elle se souvient de ce commencement : « On se retrouvait toutes dans le champ et on pleurait. On pleurait et on se lamentait, jusqu'à ce que des rires reviennent au milieu des larmes. Et qu'on se sente redevenir des êtres humains. » C'est le sens et l'essence de l'association. « Subiriseke, explique Amélie. En kinyarwanda, cela signifie « retrouve le sourire. »

Le sourire et l'énergie. Aujourd'hui, l'association s'est consolidée et agrandie. En 2004, le centre de formation et d'accompagnement de Subiriseke ouvrait ses portes. Vannerie, menuiserie, couture... Alors que les rescapés du génocide restent les plus frappés par le chômage dans un pays qui ne les attend plus pour se reconstruire, l'association tente de jouer la carte de la professionnalisation.

C'est ce qu'attendait Clarisse pour retrouver le goût de la vie. À 26 ans, la jeune femme ne doute pas d'avoir, enfin, le droit à un avenir. « J'avais fini mes études primaires avant les événements, raconte-t-elle. Ensuite, je suis restée chez moi, sans rien faire. Je ne savais pas que je pouvais encore apprendre un métier. » Et bien plus. « Ici, on oublie le passé. On arrive à parler et à rire avec les autres. On se sent moins seuls parce qu'on partage les mêmes douleurs. Ici, on devient comme tout le monde. »

Difficultés sociales et financières 

Comme tout le monde ou presque. Le centre s'est mis au diapason de la politique de réconciliation nationale engagée par le gouvernement rwandais. Les formations sont ouvertes à tous les orphelins de la région, y compris aux enfants de génocidaires. « Mais on voit bien que les rescapés sont un peu à part, observe Sylvine, secrétaire comptable de l'association. Ce sont des jeunes plus tristes, plus renfermés. Avec des problèmes plus complexes. »

Au traumatisme psychologique s'ajoutent presque toujours les difficultés sociales et financières. En milieu d'année, Jocelyne avait arrêté de marcher 20 km par jour pour venir suivre ses cours de couture.

Comme pour tous les rescapés, les frais de scolarité de 5 000 francs rwandais (7 euros) lui sont payés par l'association. Mais impossible pour elle de trouver l'argent nécessaire à l'achat de son uniforme bleu. En puisant dans ses réserves, Subiriseke lui a fourni la chemise obligatoire. « Au Rwanda, la tradition veut qu'en cas de problèmes financiers, on puisse demander de l'aide à un proche, raconte Amélie Schafer. Mais, pour ces jeunes, il n'y a plus ni parents ni famille pour les soutenir matériellement. »

L'association pallie souvent le déficit. « Pour chaque élève, la formation coûte entre 50 000 et 65 000 francs rwandais, calcule Jean Bosco, le trésorier de l'association. Entre 70 et 90 euros. Plus qu'un salaire moyen, ici. » Malgré la vente des réalisations des étudiants sur les marchés de la région, l'association doit se contenter du minimum pour ses formations. Pas de machines pour la menuiserie. Pas d'électricité non plus, pour les faire fonctionner. « Dès le départ, nous ne voulions pas nous focaliser sur l'argent mais sur le lien humain, reprend Amélie. Quand on a créé un lien solide, on peut chercher une aide matérielle. »

C'est en France que cette quête financière se fait. « J'ai créé une seconde branche de l'association, dans mon autre ville, à Ancenis, poursuit Amélie. Histoire de faire connaître notre travail là-bas. Histoire, aussi, de faire en sorte que notre histoire ne s'oublie pas. »

Tiphaine RÉTO.